Choucrouteville

Dans le village animalier de Choucrouteville, où la recette de la choucroute a été inventée il y a de cela quelque 900 années, les habitants adorent justement se remplir l'estomac de ce plat accompagné par une petite bière. Bien qu'il y fasse bon vivre, le lieu est toutefois sujet à quelques conflits et différends.

Cette petite communauté a pour maire, monsieur Eberle, un cochon particulièrement attaché à la culture culinaire. L'une de ses principales occupations est de se rendre à l'auberge où il aime retrouver mademoiselle Turtel, une tortue enseignante âgée de 200 ans, mais aussi le pasteur du village en la personne d'une cigogne, le père Spiritus. L'agglomération a également pour policier le chien Bodo, pour infirmière une renarde, pour musicien un coq et la serveuse de l'auberge est une oie à la poitrine généreuse dans la tenue classique proche de la bavaroise de l'Oktoberfest avec un large décolleté carré.

Parmi encore la population de cette localité, il y a un élément quelque peu perturbateur qui occupe les lieux : monsieur Bossi, un crocodile originaire de Berlin, des plus avides et qui a tendance à vouloir s'approprier les biens des autres ou du village. Ce reptile, qui est également le plus important employeur de cette communauté, imagine ainsi régulièrement des méthodes parmi les plus absurdes pour extorquer de l'argent à ses concitoyens. Joey, le jeune fils de Bodo, et Nandi, son meilleur ami, parviennent néanmoins à contrecarrer les mauvaises intentions de monsieur Bossi. Mais ils ne sont pas sans reproche eux aussi car, pour s'amuser comme beaucoup d'enfants, ils aiment faire quelques farces qui parfois peuvent s'avérer dangereuses.

Cette série d'animation télévisée allemande a été diffusée en Allemagne sur la chaîne ZDF, du 6 décembre 1992 au 27 février 1993 (forte d'un certain succès, elle fut rediffusée sur Kika et éditée en VHS, cassettes audio et quelques autres produits dérivés, ainsi qu'en DVD en 2015). En France, il semble qu'elle n'a connu qu'une seule diffusion télévisée en octobre 1995 sur Canal J (peut-être rediffusée en 1996 sur cette même chaîne) et elle a été depuis totalement oubliée au point que cette fiche publiée en 2021 sur Planète Jeunesse est la toute première page française qui lui soit consacrée.

Tout en créant cette série d'animation, l'écrivain berlinois Helme Heine (1941-) a écrit – avec son épouse Gisela von Radowitz également scénariste sur la série – quelques histoires issues de cet ouvrage télévisuel sous la forme d'un album pour la jeunesse aux éditions allemandes Diogenes. Celui-ci ne fait pas partie de la vingtaine d’œuvres pour un jeune lectorat traduites en français d'Helme Heine.

Donner un nom de plat comme la choucroute à une telle œuvre s'explique peut-être au travers de quelques détails de la biographie de ce grand auteur pour la jeunesse. En effet, il est le fils d'un restaurateur et hôtelier de Lübeck et, en 1966, après avoir étudié les sciences économiques et l'histoire de l'art, il quitte l'Allemagne pour l'Afrique du Sud où, à Johannesbourg, il ouvre un cabaret politique et littéraire qu'il nomme Sauerkraut (choucroute). Il publie également une feuille satirique elle aussi intitulée « choucroute ».

C'est en 1975 qu'Helme Heine écrit et illustre son premier livre pour la jeunesse Un éléphant ça compte énormément (traduit en France en 1981). A cet égard, la plupart des personnages qu'il met en scène dans ses oeuvres littéraires pour enfants sont des animaux et de fait, en créant la petite population de Choucrouteville, il était tout naturel d'en faire autant pour celle-ci, même si cette population est composée de différentes espèces d'animaux aux fonctions diverses et ce pour un même village. L'important pour l'auteur est ici de jouer avec des personnages animaliers auxquels il prête un comportement anthropomorphique.

Au travers de cet univers quelque peu farfelu, l'auteur dessine ainsi une petite communauté où l'on retrouve des aspects parodiques de la société allemande et de sa bourgeoisie (comme le souligne Oliver Armknecht sur film-rezensionen.de) : par exemple, le crocodile représente le pouvoir économique berlinois et le cochon qui s'exprime avec le dialecte bavarois est opposé un temps à ce que le médecin du village soit une femme. Dudu, un autre personnage important et particulier celui-là puisque difficilement identifiable entre le mouton et le canard, représenterait l'étranger et il est de la sorte vu avec méfiance par les villageois qui le considère un peu comme l'idiot du village.
On peut dire également que Choucrouteville fait partie de ces séries d'animation déroulant son action dans une petite communauté comme un village (ou une ville) marquée par une certaine identité telles les séries Soulierville, Edouard et ses amis ou Le Monde Irresistible de Richard Scarry, et ce pour développer auprès de l'enfant des liens sur son propre environnement au-delà du cocon familial.

Du point de vue graphique, cette œuvre est très agréable à consommer : l'animation respecte les illustrations venues du livre, les décors peints à l'aquarelle offrant une légèreté artistique et quelques notes de poésie à l'ensemble. Aussi, même si les mouvements sont assez pauvres et que cette série d'animation repose beaucoup sur des plans peu animés (l'animation c'est aussi savoir ne pas animer) sous la direction des artistes bulgares Slav Bakalov et Ivan Daskalov, les histoires sont suffisamment originales et amusantes pour retenir l'attention du jeune téléspectateur.
Le compositeur de la musique de cette série est le célèbre Harold Faltermeyer qui, après de nombreux travaux pour le cinéma hollywoodien entre 1978 et 1989 (arrangeur sur Midnight Express ou American Gigolo et compositeur sur Le Flic de Beverly Hills ou Top Gun), s'en est retourné en son pays, l'Allemagne, pour prendre le temps d'élever ses enfants et de poursuivre sa carrière en œuvrant notamment en 1992 sur cette Choucrouteville.

Quant à la choucroute qui réunit ce petit monde, on peut s'interroger sur la garniture, si garniture il y a avec des saucisses, car cela ferait du maire comme une sorte d'anthropophage...